
Le retour d’une vieille promesse en version “ginger shot”
Sur les médias sociaux, les vidéos s’enchaînent. On avale un petit shooter jaune citron au déjeuner, on grimace, on brûle de l’intérieur, et on promet qu’il “active l’immunité” ou “fait fondre la graisse”. Le gingembre (tout court) ou les bienfaits du jus de gingembre (ou ginger shot pour les intimes) est (re)devenu le nouveau rituel santé. Certains en boivent chaque matin, d’autres en ajoutent à leurs smoothies ou à leurs jus verts maison.
Mais derrière cette sensation de feu dans la gorge, est-ce que quelque chose brûle vraiment? Comme de la graisse ou des microbes, par exemple?
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Le gingembre a toujours eu bonne presse. On le dit réchauffant, tonifiant, digestif, anti-inflammatoire, antiviral, antinauséeux, et amaigrissant. Rien que ça.
Présentement sur les médias sociaux, il est devenu une shot à boire miracle, capable de stimuler le système immunitaire et d’améliorer la digestion. Il y a 10 ans, le gingembre promettait de “booster” le métabolisme et de faire fondre la graisse abdominale.
J’ai toujours trouvé que c’était beaucoup de promesses pour une épice qui n’est pas un médicament.
Selon une revue publiée dans Annals of the New York Academy of Sciences, on y rapporte que le gingembre pourrait jouer un rôle intéressant dans la prévention de l’obésité et de certaines maladies chroniques. Cette synthèse regroupe une soixantaine d’études, allant de recherches sur des cellules à des essais réalisés chez l’humain.
Mais si le gingembre et ses composés actifs (les gingerols et les shogaols) semblent agir sur le métabolisme, l’inflammation et la régulation de la glycémie, c’est surtout dans des conditions très spécifiques qui n’ont rien à voir avec manger ou boire du gingembre. Dans ces conditions très contrôlées avec un supplément qui ressemble plus à un médicament qu’à un aliment, le gingembre peut avoir certains effets sur la santé.
En laboratoire.
Car il y a un fichu grand fossé entre une cellule dans une boîte de Petri et un humain en chair et en os. Chez les rats, on peut réussir dans un labo à provoquer une perte de poids avec des doses équivalentes à plusieurs grammes de poudre de gingembre par jour. Mais ces doses-là sont impossibles à atteindre en cuisine sans vider son garde-manger.
Et dans les études chez les humains, les résultats sont encore plus modestes, parfois inexistants, souvent obtenus à partir de suppléments très (très très) concentrés.
Pas en croquant dans une racine, ni en avalant une petite gorgée au déjeuner.
Étonnamment, aucune étude scientifique n’a jamais évalué les ginger shots eux-mêmes. Ni leur effet sur le poids, ni sur l’inflammation, ni sur la santé en général.
Niet. Nada.
Ce qu’on sait, c’est que le gingembre (qu’il soit frais, râpé ou bu en jus) n’a jamais démontré d’effet significatif ni cohérent dans des études cliniques rigoureuses chez l’humain.
On en est encore à un stade tellement embryonnaire que les chercheurs ne s’entendent même pas sur la bonne dose, ni sur la forme à utiliser. Capsule, poudre, infusion, extrait, jus ? Tout reste à définir.
Quant aux ginger shots, ils misent surtout sur la sensation. Ce petit feu qu’on ressent dans la gorge donne l’impression que “ça travaille”, mais cette chaleur n’a rien à voir avec un quelconque effet métabolique. C’est une réaction sensorielle, point barre.
Parce que c’est simple. Parce que c’est naturel. Parce que ça semble inoffensif. Et parce qu’on préfère souvent avaler un petit shot de gingembre que de revoir nos habitudes de sommeil, d’activité physique ou d’alimentation. C’est le même réflexe qui alimente depuis toujours la quête du “superaliment miracle”. Ça serait le fun un ingrédient unique qui réglerait tout, sans effort.
Mais en nutrition, quand une promesse est trop belle pour être vraie, c’est qu’elle ne l’est pas. Et ce n’est pas un manque de jugement d’y croire et encore moins de notre faute. C’est le résultat d’un marketing redoutablement bien fait. Les messages autour du gingembre (comme ceux de nombreux “superaliments” avant lui) exploitent ce désir de contrôle et de simplicité. Et il faut du courage pour aller à contre-courant et de contredire une croyance populaire sur le web. Juste d’écrire cet article, je m’expose encore une fois à des réactions vives, voire hostiles.
Le gingembre reste une épice formidable. Parfumée, piquante, réchauffante. Elle mérite une place régulière dans nos plats, nos recettes ou nos marinades. Pour donner du goût et du plaisir à ce qu’on mange. Juste ça. Et ça, c’est déjà beaucoup.
Publié le 29 mai 2017. Mis à jour en octobre 2024 (avec les dernières données scientifiques sur le gingembre et ses promesses virales).
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Maharlouei N, Tabrizi R, Lankarani KB, et al. The effects of ginger intake on weight loss and metabolic profiles among overweight and obese subjects: A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Crit Rev Food Sci Nutr. 2019;59(11):1753-1766. doi:10.1080/10408398.2018.1427044
Wang J, Ke W, Bao R, Hu X, Chen F. Beneficial effects of ginger Zingiber officinale Roscoe on obesity and metabolic syndrome: a review. Ann N Y Acad Sci. 2017;1398(1):83-98. doi:10.1111/nyas.13375