L’huile d’avocat est-elle vraiment meilleure pour la santé?
Le suif de bœuf (ou beef tallow) refait surface sur les tablettes du Costco, souvent présenté comme un ingrédient “santé”. Autrefois pleinement assumé dans les friteuses chez McDonald’s, il est maintenant encensé par ses adeptes, qui le préfèrent aux huiles végétales. Le beef tallow — comme on l’appelle sur TikTok — promet pureté, santé et authenticité.
Mais derrière cette nostalgie rissolante se cache une histoire bien plus complexe. Celle de notre rapport au gras, à la science et à la mémoire culinaire collective. Popularisé par les figures du mouvement ancestral et relayé par le controversé secrétaire à la Santé des États-Unis, il est passé des oubliettes aux tablettes des épiceries.
|
Pour plusieurs d’entre nous, le suif de bœuf (ou beef tallow) n’évoque pas grand-chose. C’est pourtant une matière grasse bien réelle, provenant du gras animal fondu, filtré et solidifié. On l’obtient en chauffant lentement les morceaux de graisse blanche qui enveloppent les reins et les muscles du bœuf. En fondant, cette graisse libère une huile claire qu’on laisse ensuite refroidir. Le liquide se fige alors en un bloc blanc et ferme, le suif.
Techniquement, le suif de boeuf est composé à environ 50 % de gras saturés, 40 % de gras monoinsaturés et moins de 5 % de polyinsaturés. C’est cette composition qui le rend si stable à la cuisson, et qui, paradoxalement, lui a aussi valu d’être banni lorsque la peur du cholestérol a pris le dessus.
Avant l’arrivée des bouteilles d’huile végétale, le gras animal était un peu tout ce qu’on avait. On le gardait précieusement après la cuisson, on le faisait fondre pour la prochaine recette, on en badigeonnait les moules et les poêles. Rien ne se perdait. Le suif de bœuf, le saindoux ou la graisse de canard faisaient partie du paysage culinaire quotidien et de l’économie domestique.
Dans les années 1950, les friteuses des restaurants utilisaient le suif de boeuf pour leur cuisson. Il était abordable, local, et surtout, stable à la chaleur. Les frites dorées dans le gras de bœuf avaient cette couleur, cette odeur et ce goût que beaucoup décrivent encore aujourd’hui comme “les vraies frites d’avant”.
Puis, au fil des recherches en nutrition et en cardiologie, des données ont commencé à établir un lien entre la consommation élevée de gras saturés, l’augmentation du cholestérol sanguin et le risque de maladies cardiovasculaires. Ces résultats, encore nuancés à l’époque, ont profondément influencé les recommandations de santé publique et, avec elles, la façon dont on a commencé à percevoir le suif de boeuf dans nos assiettes.
Jusqu’en 1990, même si sa consommation avait considérablement diminué, le suif de bœuf était encore utilisé. À cette époque, McDonald’s faisait frire ses frites dans un mélange d’huile végétale et de suif de bœuf. Ce gras-là (semble-il) faisait toute la différence! On disait les frites dorées, croustillantes, légèrement parfumées de viande, avec une saveur devenue mythique que plusieurs tentent de recréer aujourd’hui.
Pour les curieux qui voudraient retrouver le goût des “frites d’avant”, Atlas Obscura a reconstitué la recette originale de McDonald’s, celle qui utilisait encore le suif de bœuf :
Lire l’article sur Atlas Obscura
Mais cette époque allait basculer. Dans un contexte scientifique où le cholestérol et les maladies cardiaques occupaient une place centrale, un homme d’affaires du Nebraska allait sceller le destin du suif. Après avoir survécu à une crise cardiaque, Phil Sokolof fit de la lutte contre le gras saturé sa croisade personnelle, et sa fortune, son porte-voix. Il inonde les journaux américains de pleines pages titrées “The Poisoning of America!”. Il y accuse McDonald’s de “tuer le cœur de l’Amérique” avec ses hamburgers trop gras et ses frites plongées dans le suif de bœuf.
Le message est simple, redoutablement efficace et cohérent avec les données de l’époque. Les gras saturés augmentent le cholestérol, le cholestérol cause les maladies du cœur, donc le suif de boeuf est le grand coupable et doit disparaître.
Sous la pression du public et des médias, McDonald’s cède. En juillet 1990, la chaîne annonce qu’elle remplacera le suif par des huiles végétales “meilleures pour la santé”. En quelques semaines, ce changement de recette devient un symbole. Le gras animal appartient désormais au passé.
Ironie de l’histoire, c’est que les nouvelles huiles utilisées étaient partiellement hydrogénées, riches en gras trans, qu’on jugera quelques décennies plus tard bien pires pour la santé cardiovasculaire que le suif de bœuf qu’elles avaient remplacé.
Ainsi s’est refermé un chapitre de l’histoire culinaire. Le suif de bœuf a quitté les friteuses, les maisons et la mémoire collective, banni au nom de la science, avant de revenir, trente ans plus tard, au nom de la nostalgie… ou de certaines idéologies.
Si le suif de bœuf fait un retour aujourd’hui (comme graisse de cuisson, soin hydratant ou ingrédient permettant de “refaire frire les aliments comme avant”), ce n’est plus seulement une question de goût ou de tendance. Pour certaines cultures du bien-être réunies autour du mouvement Make America Healthy Again (MAHA), il est devenu un symbole identitaire. Une façon de rejeter la modernité alimentaire, les politiques de santé publique et, plus largement, la science qui remet en question leurs certitudes.
Certaines figures influentes ont d’ailleurs repris ce discours, accusant les huiles végétales (les fameuses seed oils) d’être à l’origine de l’épidémie d’obésité aux États-Unis. Dans ce récit, la disparition du suif de bœuf serait le point de départ du déclin de la santé américaine, et son retour, la solution. Il serait désormais présenté comme un superaliment capable de “guérir l’inflammation”, de “réparer le métabolisme” ou même de “restaurer une virilité perdue”.
Ce discours illustre bien la dérive actuelle. Celle où un ingrédient devient un coupable, et où les questions nutritionnelles se transforment en combat culturel.
Mais tout cela entre en collision avec des décennies de recherche solide.
Le suif de bœuf reste une graisse riche en acides gras saturés, qui, consommée régulièrement, élève les concentrations de cholestérol LDL, facteur de risque bien établi de maladie cardiovasculaire. Les grandes études d’intervention et les méta-analyses montrent que remplacer une partie des gras saturés par des gras insaturés (comme ceux des huiles d’olive, d’avocat ou de graines) réduit le risque d’événements cardiovasculaires.
À l’inverse, une alimentation riche en gras saturés, comme le suif de boeuf, augmente la probabilité d’hypercholestérolémie, d’athérosclérose et de maladies du cœur, surtout lorsqu’elle s’accompagne d’une faible consommation de fibres, de fruits et de légumes.
Le suif de bœuf est stable à la cuisson (je l’accorde), goûteux (sûrement), mais sa consommation fréquente n’apporte aucun bénéfice démontré pour la santé du cœur. Et jusqu’à preuve du contraire, aucune étude sérieuse ne montre qu’il protège le cœur, réduit l’inflammation ou prolonge la vie. C’est même le contraire.
Le retour du suif de bœuf, c’est un peu comme espérer que McDonald’s ressorte les petits cadeaux des Joyeux Festins d’autrefois. Vous savez, les autocollants, les cartes à gratter, les images à colorier avec Ronald, Grimace, Birdie et le Hamburglar. Ce qu’on regrette, c’est le plaisir de gratter le bonhomme mauve sur son paysage, cette simplicité que la nutrition apportait à l’époque où l’on mangeait des frites dorées… sans culpabilité.
Merci de respecter le travail et la recherche derrière ce contenu en citant « Science et Fourchette » si vous le partagez, l’utilisez, ou même vous en inspirez, quel que soit le contexte. Toute reproduction, en partie ou en totalité, doit faire l’objet d’une demande d’autorisation préalable.
Adams RJ, Jennings KM. Media advocacy: A case study of Philip Sokolof’s cholesterol awareness campaigns. J Consum Aff. 1993;27(1):145–165.
Sokolof P. The Poisoning of America – Part II. The New York Times. 1990 avr 4;A21.
Robbins L. One man with a purpose takes on heart disease. The New York Times. 1990 juill 22.
Mozaffarian D, Micha R, Wallace S. Effects on coronary heart disease of increasing polyunsaturated fat in place of saturated fat: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. PLoS Med. 2010;7(3):e1000252. Published 2010 Mar 23. doi:10.1371/journal.pmed.1000252
Mensink RP. Effects of the individual saturated fatty acids on serum lipids and lipoprotein concentrations. Am J Clin Nutr. 1993;57(5 Suppl):711S-714S. doi:10.1093/ajcn/57.5.711S
de Souza RJ, Mente A, Maroleanu A, et al. Intake of saturated and trans unsaturated fatty acids and risk of all cause mortality, cardiovascular disease, and type 2 diabetes: systematic review and meta-analysis of observational studies. BMJ. 2015;351:h3978. Published 2015 Aug 11. doi:10.1136/bmj.h3978