
Lorsque vient le moment de cuisiner, les innombrables contenus sur TikTok peuvent être une véritable source d’inspiration. Cependant, certaines vidéos, notamment celles portant sur le hashtag #WhatIEatInADay (« Ce que je mange dans une journée »), suscitent des préoccupations chez certains professionnels de la santé. Bien que leurs créateurs soient souvent bien intentionnés, ces contenus peuvent présenter des risques, en particulier pour les personnes qui entretiennent une relation complexe avec la nourriture et leur corps.
On explore la science derrière la « réalité » de cette tendance, afin de comprendre comment ceux-ci peuvent se révéler potentiellement nuisibles pour notre santé physique et mentale.
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mots de Annie Ferland, dtp, PhD (pharm)
Avertissement : Cet article aborde des sujets sensibles liés à notre relation avec la nourriture et notre corps. Il se veut un début de réflexion, sans jugement ni critique.
Le #WhatIEatInADay est la tendance qui ne s’essouffle pas sur les réseaux sociaux depuis au moins les années 2010. Ces vidéos courtes, captivantes et souvent alléchantes, nous plongent dans l’univers des créateurs de contenus, en révélant les repas et collations qu’ils mangent sur une période de 24 heures. Au 30 juin 2024, le hashtag #WhatIEatInADay a été vu 17,8 milliards de fois sur TikTok (TikTok Creative Center, 2024), soulignant son indéniable popularité.
Si on n’a jamais visionné un vidéo « What I Eat in a Day », en voici un exemple typique:
Une courte vidéo commence par un petit déjeuner, où l’on voit un bol de gruau agrémenté de pommes cuites sans matières grasses dans une poêle antiadhésive, de beurre d’arachide léger et d’une pincée de stévia pour la touche sucrée.
Ensuite, on passe au diner avec une toast à l’avocat écrasé, surmontée d’un œuf brouillé, avant de finir la journée avec un souper, comprenant du poisson blanc, du riz brun et des légumes vapeur, le tout accompagné d’un soda zéro calorie et d’une barre-collation à 13 g de protéines le soir devant la télé.
Certaines vidéos se concentrent exclusivement sur les repas, tandis que d’autres se livrent à des commentaires audios ou des légendes qui détaillent les calories, la taille des portions (souvent pesées avec précision) et la quantité de protéines. Et il n’est pas rare de voir ces créateurs se filmer en pleine dégustation, en train de cuisiner ou même de vérifier leur apparence (body checking), souvent en leggings et crop tops, pour laisser supposer qu’ils se sont entraînés dans la journée.
En tant que nutritionniste, il est crucial que je souligne les aspects problématiques du #WhatIEatInADay – sans jugement – car ces vidéos illustrent de manière sans équivoque la volonté de contrôler son poids. Cela se traduit par divers comportements, tels qu’un contrôle rigide des portions, une surreprésentation de « superaliments, » et l’évitement de certains groupes alimentaires, à tort perçus comme « malsains, » comme les glucides, le gras ou les produits d’origine animale.
L’utilisation fréquente de suppléments ou de produits amaigrissants en est un autre indicateur, reflétant une obsession pour la minceur au détriment de l’équilibre nutritionnel et du bien-être global. Il n’est pas rare non plus de voir un influenceur faire la promotion de suppléments par une publicité ou en vantant leurs bienfaits. Comme spectateurs de ces vidéos qui visionnent fréquemment ce type de publications d’influenceurs, il est tentant de les reproduire, espérant ainsi obtenir les mêmes résultats qu’eux. Le message « si tu manges comme moi, tu peux avoir l’air comme moi » est particulièrement répandu.
Ce modèle d’une « alimentation/vie parfaite » repose malheureusement sur des objectifs irréalistes. C’est d’autant plus problématique que la plupart de ces vidéos sont réalisées par des femmes blanches, jeunes et en bonne santé (en apparence du moins), bénéficiant du privilège de la minceur.
« Être mince représente un privilège dans notre société où l’apparence est très valorisée et où les préjugés à l’égard du poids sont omniprésents. »
Ces contenus finissent par promouvoir un idéal de corps spécifique, inaccessible pour la majorité des gens. Comme spectateur, on peut se retrouver mal à l’aise ou anxieux par rapport à notre propre alimentation; par exemple, on pourrait penser qu’une portion plus importante que celle montrée dans la vidéo rend notre alimentation “mauvaise pour la santé” nous poussant à réduire notre apport énergétique de manière excessive.
Bien que ces vidéos semblent inoffensives en apparence, elles peuvent devenir préoccupantes, notamment chez les enfants et les adolescents qui y sont exposés. D’autant plus que c’est une représentation malsaine de ce qu’on devrait manger dans une journée.
À ce jour, peu de chercheurs se sont penchés sur le phénomène du #WhatIEatInADay. Toutefois, ceux qui l’on fait ont souligné des aspects très inquiétants. Certaines études ont révélé que seulement une faible part de ces vidéos mettent de l’avant des aspects positifs liés à l’alimentation, tandis que la majorité aborde plutôt les luttes liées à la recherche d’une image corporelle parfaite.
Les recherches indiquent aussi que 15,3 % des vidéos TikTok associées au hashtag #WhatIEatInADay portent également le hashtag #EDRecovery. Ce dernier est utilisé sur les réseaux sociaux par les personnes en rétablissement d’un trouble alimentaire (ED = Eating Disorder) pour partager leurs expériences, leurs conseils et leurs encouragements.
Bref, ce que dit la science n’est probablement que la pointe de l’iceberg des dangers insoupçonnés des vidéos #WhatIEatInADay, mais à ce stade, cette pointe est inquiétante.
Fait à souligner, il n’est pas rare de voir une vidéo #WhatIEatInADay débuter par une séance de body checking, ce qui est loin d’être anodin. Le body checking désigne le comportement de vérifier à plusieurs reprises par jour son apparence physique, son poids ou certaines parties de son corps.
Cette pratique peut se traduire par des pesées quotidiennes, la mesure de différentes zones corporelles, des observations dans le miroir, ou encore des enregistrements vidéo et des photographies de soi sur une période déterminée. Ces comportements sont souvent liés à des problématiques d’image corporelle, notamment l’insatisfaction et les préoccupations liées à l’apparence physique, ainsi qu’à des troubles alimentaires qui peuvent en résulter.
Bref, c’est un drapeau rouge qui devrait nous inciter à consulter un professionnel de la santé.
Je remercie Karine Gravel, nutritionniste et docteure en nutrition pour la révision scientifique de cet article. Karine est l’autrice des livres « De la culture des diètes à l’alimentation intuitive » et « T’es belle pour ton âge« , tous deux publiés par KO éditions.
Si vous avez besoin d’aide, référez-vous à Anorexie et boulimie Québec (ANEB) en composant le 1 800 630-0907 ou au National Eating Disorder Information Center, joignable au 1 866 633-4220, pour connaître les ressources offertes dans votre région.
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