
« Dis-moi quel est ton génotype et je te dirai qui tu es. »
C’était à 7h du matin, dans une salle de conférence glaciale à l’Université du Colorado. J’étais en postdoctorat en nutrition, encore sans café, quand j’ai entendu cette phrase en guise d’introduction à une conférence scientifique. Sur le coup, j’ai levé les yeux au ciel. Et pourtant…
Quelques années plus tard, me voilà à décortiquer un rapport de test génétique en nutrition complet, sur mes propres gènes, reçu par la poste, salive incluse. Sujet de la mission: comprendre comment mon ADN pourrait influencer ma réponse à certains nutriments. Caféine, sodium, folate, lactose… et si notre génétique dictait une partie de ce que l’on devrait manger (ou non)?
Plusieurs années plus tard au Québec, la nutrigénétique* et la nutrigénomique** sont devenues des avenues en pleine effervescence en nutrition. Pour mieux comprendre cette nouvelle science, on pourrait dire qu’elle vise à mieux comprendre ce que nos gènes nous apportent comme information – notre signature génétique – afin de développer des conseils nutritionnels adaptés à notre ADN.
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Les chercheurs explorent depuis plusieurs années l’impact de la génétique sur la nutrition. C’est ce qu’on appelle la nutrigénétique* et la nutrigénomique**, deux disciplines scientifiques qui tentent de comprendre comment notre signature génétique influence nos besoins nutritionnels ou nos réponses aux aliments.
Dans un contexte où les maladies chroniques progressent rapidement, certains y voient une voie prometteuse. Pourquoi ne pas offrir des recommandations nutritionnelles personnalisées basées sur l’ADN, pour mieux prévenir, motiver et intervenir?
Le grand public est curieux. Et plusieurs entreprises privées ont flairé la tendance. Elles offrent aujourd’hui des tests génétiques en nutrition sans ordonnance, accompagnés de recommandations ciblées, souvent présentées comme scientifiquement sérieux ou même « approuvés » par un.e. nutritionniste. Mais ici, attention! Le marketing met parfois en avant la présence d’une « nutritionniste » sans que son rôle réel, son indépendance ou même sa formation ne soient clairement définis. Il est donc essentiel de vérifier qui interprète les résultats, et dans quel cadre.
Cela dit, j’ai été en mesure de prêter mon corps à la science et de faire le test.
Une entreprise m’a approché puisqu’elle souhaitait offrir son test de nutrigénomique à certains influenceurs pour en faire la promotion. Après y avoir pensé quelques jours, j’ai accepté de le faire à ces conditions: que je puisse écrire sur le sujet en donnant une opinion basée sur la science, tout en conservant l’indépendance du contenu éditorial de mon blogue. La compagnie en question n’a eu aucun droit de regard sur mon article avant que je le publie et je n’ai pas été rémunérée pour écrire ces lignes.
Le test? Un simple prélèvement de salive envoyé par la poste. Quelques jours plus tard, j’ai reçu un rapport détaillé basé sur l’analyse de variations génétiques spécifiques, appelées polymorphismes. Ces variations influencent des aspects ciblés de notre métabolisme, comme la sensibilité au sodium, l’absorption de certaines vitamines, le métabolisme de la caféine ou des gras sanguins. Le test explorait aussi certaines variations génétiques liées au risque de diabète de type 2, à l’intolérance au lactose et à la prédisposition à la maladie cœliaque. À chaque variation identifiée est associée une recommandation nutritionnelle.
Mais attention. Ces résultats ne posent aucun diagnostic. Ils offrent des pistes, pas des verdicts. Et c’est là toute la nuance.
Dans mon cas, l’analyse a porté sur 10 gènes associés à différents nutriments et marqueurs métaboliques. Par exemple, une variation sur un gène lié à la régulation de la pression artérielle m’a conduite à une recommandation de limiter le sodium à 1500 mg par jour. Toutefois, cet apport recommandé n’est pas exclusif à mon profil génétique. En fait, elle correspond exactement à ce que Santé Canada ou l’American Heart Association suggèrent déjà pour les adultes présentant un risque accru d’hypertension, ce qui englobe la moitié de la population.
Autrement dit, le test m’a confirmé ce qu’on aurait pu recommander sans même analyser mon ADN. Ce n’est pas inutile… mais ce n’est pas révolutionnaire non plus.
La nutrigénomique, c’est encore une science en construction. Prometteuse sur papier, fascinante dans ses ambitions, mais avec des bases qui restent, pour l’instant, incomplètes.
Pendant longtemps, plusieurs ordres professionnels, dont le Collège des médecins du Québec et l’Ordre des diététistes nutritionnistes du Québec (ODNQ), ont recommandé la prudence. Selon leur première position conjointe (2020), les tests génétiques ne devaient pas être utilisés comme outils d’évaluation ou d’intervention clinique en l’absence de preuves scientifiques solides de leur validité, de leur fiabilité et de leur utilité.
Mais les choses ont commencé à évoluer.
Les tests de nutrigénomique cherchent à expliquer pourquoi on ne réagit pas tous pareil à certains aliments. En théorie, ils permettent d’offrir des conseils nutritionnels plus personnalisés, selon notre ADN.
L’Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec (ODNQ) reconnaît aujourd’hui que ces tests peuvent parfois aider certaines personnes à mieux suivre leurs recommandations. Des études ont montré des changements alimentaires plus durables lorsque les conseils sont adaptés au profil génétique, un effet qui est surtout lié à l’effet de motivation.
Mais pour que ce soit vraiment utile (et sécuritaire), les experts rappellent que ces tests doivent être utilisés dans un cadre professionnel bien encadré. Quand on travaille avec un·e diététiste-nutritionniste, celui ou celle-ci a la responsabilité de s’assurer que le test est valide, fiable et bien interprété. Un test valide, c’est un test reproductible: il devrait donner les mêmes résultats, peu importe la compagnie qui l’analyse. Ce n’est pas toujours le cas avec les tests vendus librement sur internet, où la qualité varie énormément et où aucune vérification indépendante n’est assurée.
Autrement dit, même si les tests deviennent plus accessibles, ce n’est pas un gadget à faire seul chez soi. La génétique ne se lit pas comme un horoscope. Il faut l’interpréter dans un contexte global, avec rigueur, et avec l’accompagnement d’un·e professionnel·le formé·e
Oui, nos gènes peuvent influencer comment on réagit à certains aliments. Mais ils ne dictent pas tout. Notre santé, c’est aussi une question d’habitudes, d’environnement, de budget, d’émotions… et de ce qu’on vit autour de la table.
Un test peut suggérer de manger moins salé ou de limiter le café. Mais si ces recommandations deviennent trop rigides, on finit par décrocher. Et pour une personne qui entretient déjà une relation compliquée avec la nourriture, ça peut même faire plus de mal que de bien. Se sentir “génétiquement brisé·e”, devoir éviter certains aliments « à vie » à cause d’un résultat… ça peut nourrir l’obsession, l’anxiété ou la culpabilité.
L’effet contraire est aussi possible: pour certain·es, un plan “taillé sur mesure” peut créer un déclic motivant. Mais la plupart des études qui rapportent cet effet ont été financées par l’industrie. Autrement dit, la génétique peut aider, mais elle peut aussi compliquer les choses si elle est mal encadrée. Ce n’est pas une solution miracle. C’est juste un outil de plus, à utiliser avec soin, et jamais au détriment du plaisir de manger.
Est-ce qu’on a vraiment besoin d’un test génétique pour bien manger? Pas nécessairement. Quelques études le soulignent d’ailleurs.
Une diététiste-nutritionniste avec suffisamment d’années d’expérience clinique peut souvent arriver aux mêmes recommandations, simplement en analysant les habitudes alimentaires, les symptômes, les antécédents familiaux et les données médicales disponibles.
Par exemple, si une personne se sent toujours énervée après un café ou présente une tension artérielle élevée, il n’est pas nécessaire d’analyser son ADN pour proposer des ajustements. Le jugement clinique suffit souvent à cibler les bons conseils. Ce que les tests génétiques peuvent apporter de plus, c’est parfois un effet motivationnel ou de déclic psychologique. Le fait de voir une “preuve” noire sur blanc peut motiver certaines personnes à mieux suivre les recommandations. Mais encore là, cet effet peut aussi venir d’un bon accompagnement, d’un lien de confiance avec un·e professionnel·le, ou d’une explication bien vulgarisée.
En bref, la génétique peut compléter, mais elle ne remplace jamais l’humain qui va prendre le temps de nous écouter.
C’est une décision très personnelle. Les tests de génétique en nutrition peuvent offrir des pistes intéressantes, surtout pour celles et ceux qui aiment comprendre leur corps en profondeur. Ils peuvent aussi agir comme un élément motivateur pour certaines personnes, comme un point de départ vers de meilleurs choix alimentaires.
Mais ce n’est pas indispensable. Une nutritionniste avec suffisamment d’expérience peut souvent arriver aux mêmes recommandations, simplement en posant les bonnes questions. Et un test, même bien fait, ne remplacera jamais le contexte global: nos préférences, notre relation avec la nourriture, notre histoire, notre quotidien.
Si on choisit de faire le test, il faut s’assurer qu’il est validé scientifiquement, qu’il est interprété par un·e professionnel·le qualifié·e, et qu’on ne s’y accroche pas comme à une vérité absolue. La génétique est un outil. Pas une prophétie. Manger selon ses gènes peut être intéressant, tant que ça reste un complément, et non une contrainte.
Article publié le 5 février 2019| Dernière mise à jour le 02 juin 2025
Il est important de savoir que les tests génétiques en nutrition ne servent pas à faire de diagnostic médical. Ils ne peuvent pas nous dire non plus si on est à risque de développer une maladie dans le futur.
La compagnie BiogeniQ m’a offert gracieusement le test génétique en nutrition nommé: « Profil nutrition » d’une valeur de 335$ + taxes, qui incluait une consultation de une heure avec une nutritionniste. En accord avec la mission et les valeurs du blogue Science et Fourchette, BiogeniQ n’a eu aucun droit de regard sur le texte qui a été publié.
Ordre professionnel des diététistes du Québec (OPDQ). L’utilisation de la nutrigénomique et de ses tests par les professionnels de la santé. Position conjointe de l’OPDQ et du Collège des médecins du Québec. [En ligne]. (Ressource consultée le 5 février 2019).
Garneau V et Vohl MC. Utilisation clinique de la nutrigénomique et de ses tests. Ordre des diététistes nutritionnistes du Québec (ODNQ). [En ligne]. (Ressource consultée le 2 juin 2025).
Collège des médecins du Québec. Prudence dans l’utilisation de la nutrigénomique et de ses tests par les professionnels de la santé. [En ligne]. (Ressource consultée le 7 février 2019).
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Petit lexique
*La nutrigénétique: Comment nos gènes influencent comment notre organisme répond à notre alimentation.
**La nutrigénomique: Comment les nutriments ingérés affecte l’expression de nos gènes.
Poutine, café, pizza froide, cuillère d’huile d’olive, sudation, bicarbonate de soude, jus de tomate, aspirine. Ces quelques trucs « de grand-mère » sont depuis longtemps proposés sur le Web pour vaincre les effets indésirables liés à la consommation excessive d’alcool. Entre inflammation et déshydratation, [...]