Pourquoi les nutritionnistes ne sont pas des influenceurs (et ce que ça change) - Science et Fourchette
On tranche!

Pourquoi les nutritionnistes ne sont pas des influenceurs (et ce que ça change)

Il y a quelques mois, j’ai reçu un message d’une compagnie pour une nouvelle collaboration sur les médias sociaux. Une marque avec qui j’avais déjà travaillé, une proposition sérieuse, un sujet pertinent.

En temps normal, j’aurais répondu « oui » dans la minute. Mais cette fois, j’ai pris mon téléphone et j’ai dit : « Il faut qu’on se parle! ».

Il faut savoir que, depuis peu, les diététistes-nutritionnistes au Québec sont encadrés par de nouvelles règles déontologiques concernant leurs interventions sur les médias sociaux. Et c’est pour le mieux!

Parce qu’être nutritionniste, ce n’est pas juste donner des conseils sur Facebook, Instagram ou TikTok. C’est exercer une profession qui impacte la santé des gens qui nous lisent, avec des obligations envers le public.

Et ça, ça change la façon dont on peut collaborer avec des marques.

|

mots de Annie Ferland, PhD, dtp-nutritionniste


Les diététistes-nutritionnistes ne sont pas des influenceurs

Selon un sondage Léger publié en 2022, 84 % des gens font confiance aux diététistes-nutritionnistes. Et 90 % font confiance aux scientifiques. Moi qui travaille sous l’éponyme Science et Fourchette, on va dire tout de suite que j’ai choisi un nom pour me mettre de la pression!

C’est une pression énorme. Et la confiance, c’est fragile.

Les influenceurs, eux, plafonnent à 10 % (oui, j’ai eu un petit sourire en coin). Le message est clair, les nutritionnistes ne sont pas des influenceurs. Mon rôle, c’est de contrer la désinformation, pas de l’alimenter. Mon travail, c’est d’éduquer, pas de vendre.

Et pour continuer à mériter cette confiance à un pourcentage aussi élevé, je dois respecter un cadre professionnel strict, et je le fais avec fierté. Parce que chaque mot, chaque image, chaque article ou chaque recette qu’on publie peut soit renforcer, soit miner la littératie alimentaire du public. Et ça, je le sais.

Contenu commandité, publicité et dérives

Ces nouvelles règles déontologiques pour les diététistes-nutritionnistes ne sont pas sorties de nulle part. Elles découlent d’un constat simple. Les dérives se sont multipliées, et pas seulement chez nous, mais dans l’ensemble des professions de la santé. Avec l’arrivée des médias sociaux et la crise de confiance amplifiée par la pandémie, les frontières entre information, marketing et influence sont devenues floues. Et pour ceux qui essaient simplement de bien manger, ce flou est vite devenu un véritable casse-tête.

Médecins, pharmaciens, dentistes, infirmières… plusieurs ordres professionnels ont dû intervenir pour redéfinir les limites:

Qu’est-ce qui relève de l’acte professionnel?

Qu’est-ce qui bascule dans la publicité?

C’était nécessaire et je pense que ça va apporter beaucoup de positif sur Internet. Parce qu’un titre professionnel, c’est un gage de confiance. Et utiliser ce titre pour recommander des produits sans encadrement, c’est risquer de la briser.

Contenu commandité et publicité: ce que les nouvelles règles permettent (ou pas)

Le nouveau Code de déontologie des diététistes-nutritionnistes du Québec est clair. Un contenu commandité ou une publicité, c’est dès qu’il y a une rémunération directe ou indirecte. Et à partir de ce moment, plusieurs règles s’appliquent.

Par exemple, on ne peut pas faire la promotion d’un produit comme porte-parole. Autrement dit, une nutritionniste ne peut pas devenir la voix officielle d’un aliment, même aussi banal qu’un pain. Parce que ça revient à dire que ce produit est universellement meilleur et ce n’est jamais le cas.

À l’inverse, j’ai des collègues nutritionnistes qui font vraiment bien les choses en agissant comme porte-parole pour des initiatives publiques visant à consommer plus de fruits et de légumes ou à adopter de saines habitudes de vie. Et ça, ce sont des initiatives qui font grandement rayonner notre profession.

Ce qu’on peut dire (ou pas)

Dire « je recommande cette marque » ou « je prends toujours celle-là », c’est non. Ce n’est pas notre rôle.

On ne peut pas non plus associer notre titre professionnel à une marque en particulier. C’est une question d’indépendance, mais aussi de perception. Le public (donc vous) ne doit jamais avoir à se demander si ce qu’on dit est influencé par un contrat ou beaucoup d’argent derrière tout ça.

On doit aussi être clairs sur nos partenariats. Pas de petites lignes floues ou de codes promo du genre « RABAIS15ScienceFourchette » déguisés en conseils.

Et surtout, le contenu doit rester éducatif, basé sur des données scientifiques solides, véridique et aider concrètement le public à faire des choix éclairés. Pas à le pousser à acheter.

Deux exemples de contenu commandité conforme (et non conforme)

Imaginons qu’une entreprise me contacte pour parler de sa gamme de boissons végétales enrichies. Premièrement, c’est super, parce qu’on a tous à gagner à en apprendre plus sur le sujet.

Ce que j’ai le droit de faire, c’est de publier une capsule éducative sur les critères à considérer pour choisir une boisson végétale, les nutriments à surveiller, et les différences avec le lait de vache, ses avantages au niveau de l’environnement. Le contenu est neutre, basé sur les données scientifiques, et je déclare clairement le partenariat au début et/ou à la fin du contenu en disant par exemple: « Cette capsule a été développée en partenariat avec la compagnie X » ET en utilisant les hashtags appropriés.

Ce que je ne peux pas faire, c’est de tenir le contenant de boisson devant la caméra en expliquant qu’elle fait maintenant partie de ma routine matinale, en insistant sur la marque, ses bienfaits allégués ou en partageant un rabais exclusif.

Autre exemple, la promotion de suppléments. Même si c’était plus ou moins toléré avant, même si son usage est courant, aujourd’hui c’est impossible d’en faire la promotion comme le ferait un influenceur. Pourquoi? Parce que les diététistes-nutritionnistes ont un droit de prescrire à protéger. Recommander ou non un supplément, c’est un acte professionnel basé sur une évaluation clinique. Promouvoir un produit commercial reviendrait à détourner ce droit pour en faire une vitrine marketing et ça, c’est clairement interdit par notre code de déontologie.

Le premier respecte mon rôle de professionnelle de la santé. Le deuxième me fait glisser du côté de la publicité, et ce n’est pas compatible avec mon titre. Et je suis certaine que, si je vous demande lequel des deux contenus vous allez préférer, le choix sera assez facile!

Ce que les marques, le public et les nutritionnistes gagnent avec ce cadre

Ce nouveau cadre, ce n’est pas un frein à notre travail. C’est un filtre. Il nous permet de créer du contenu utile, sérieux, sans tomber dans la mise en marché déguisée.

Pour les nutritionnistes, c’est une protection contre la perte de crédibilité. Pour le public, c’est la garantie d’une information de qualité. Et pour les marques, c’est l’occasion de s’associer à une parole professionnelle, qui éduque au lieu de convaincre. C’est aussi une belle façon de faire rayonner leur marque autrement, parce qu’un message porté par une nutritionniste avec rigueur, nuances et pédagogie construit une notoriété durable. Il ne s’agit pas seulement de générer de l’attention, mais de bâtir une relation de confiance. Et en communication, ça vaut de l’or.

Et soyons honnêtes! Si ce ne sont pas les nutritionnistes qui créent du contenu éducatif sur l’alimentation, ce seront des influenceurs. Et avec eux, le risque est grand que la science se fasse écraser par le marketing. Ce cadre nous permet non seulement de protéger le public, mais aussi de garder notre place dans l’espace numérique, là où les décisions alimentaires se prennent de plus en plus.

Un.e. nutritionniste informe, elle ne vend pas

On va être transparent encore une fois, on ne pourra jamais rivaliser avec le marketing tapageur et les titres clickbaits. Et ce n’est pas notre but. Mais on peut créer un autre type de contenu, qui est engageant, pertinent, ancré dans la science. Juste de l’info claire, rigoureuse, et un vrai respect pour l’autonomie du public.

Et si on garde ça en tête, alors oui, on peut faire du contenu commandité. Mais pas à n’importe quel prix.


Ce texte a été nourri par plusieurs réflexions personnelles, mais aussi par la formation offerte par l’Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec, intitulée « Collaboration avec les entreprises: Comment respecter ses obligations déontologiques? « . Une ressource précieuse qui m’a aidée à mieux comprendre les balises, et à écrire ce texte avec rigueur et clarté. J’y ai aussi puisé plusieurs exemples concrets que vous avez lus ici.

Références consultées

Ordre professionnel des diététistes du Québec. Collaboration avec les entreprises : Comment respecter ses obligations déontologiques? [formation en ligne]. Présenté par Marie-Joëlle Valiquette, Dt.P, avocate, directrice des affaires professionnelles et juridiques. 23 avril 2025.

Léger. Baromètre des professions 2022. [Internet]. Montréal : Léger ; 2022 [consulté le 21 mai 2025]. Disponible à : https://leger360.com/wp-content/uploads/2024/02/Rapport_Barometre-des-Professions_16120-020.pdf

Ordre professionnel des diététistes du Québec. Code de déontologie des diététistes [Internet]. Québec : Publications du Québec ; 2023 [consulté le 21 mai 2025]. Disponible à : https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/C-26,%20r.%2097

Office des professions du Québec. Code des professions (L.R.Q., c. C-26) [Internet]. Québec : Publications du Québec ; 2023 [consulté le 21 mai 2025]. Disponible à : https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/C-26

Normes de la publicité. Code canadien des normes de la publicité [Internet]. Toronto : Les normes canadiennes de la publicité ; 2023 [consulté le 21 mai 2025]. Disponible à : https://adstandards.ca/fr/code-canadien/code-en-ligne/

Vous aimerez aussi.

Partager
8 trucs par des nutritionnistes pour boire plus d’eau
Partager
Le sucre: 10 questions à une nutritionniste
Partager
5 trucs de nutritionniste pour réduire sa facture d’épicerie et améliorer son alimentation.
Partager
Qu’est-ce qu’une diététiste-nutritionniste?
Toutes les recettes Toute la science