Le lait cru est-il dangereux? - Science et Fourchette
Sujets chauds

Le lait cru est-il dangereux?

On dit que c’est plus naturel, plus nourrissant, plus vivant. Le lait cru (du lait non pasteurisé) refait surface dans les frigos et dans les controverses. Des figures bien en vue, comme Gwyneth Paltrow, en vantent les bienfaits, pendant que les autorités sanitaires rappellent que ce n’est pas sans danger.

Alors, qu’est-ce qu’on fait avec tout ça? On plonge dans une histoire de microbes, de mémoire collective et de marketing bien ficelé.

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mots de Annie Ferland, PhD DtP-nutritionniste


Un verre de lait (très) controversé

Quand Gwyneth Paltrow confie qu’elle met du lait cru dans son café du matin dans une entrevue avec le magazine Vanity Fair, le web s’enflamme. Entre ceux qui crient au génie nutritionnel et ceux qui dénoncent l’irresponsabilité de promouvoir un aliment interdit à la vente dans plusieurs pays, une chose est sûre, il y a matière à controverse.

Le lait cru, c’est celui qu’on boit tel quel, sans pasteurisation. Et pour plusieurs, c’est un symbole. Un retour aux vraies choses. Un pied-de-nez aux normes industrielles. Un geste politique, parfois.

Mais pour les experts en santé publique, ce lait cru n’évoque pas la ferme paisible, mais les services de pédiatrie débordés des années 1920, les avis de décès d’enfants morts de tuberculose bovine, les épidémies de brucellose silencieuses. Ce n’est pas une peur irrationnelle. C’est la mémoire d’une catastrophe qu’on préférerait ne pas revivre parce que c’est 100% évitable.

Gwyneth Paltrow vante les mérites du lait cru dans Vanity Fair. Une image chic… mais un choix à haut risque.

Quand les diètes font une tempête dans un verre de lait cru

Le retour du lait cru ne vient pas de nulle part. Il s’inscrit dans plusieurs courants alimentaires populaires qui valorisent l’authenticité, l’instinct, l’alimentation « ancestrale ». Dans ces approches, boire du lait cru devient presque un rite de passage.

On le retrouve dans la diète ancestrale, le régime paléo, le protocole GAPS (Gut and Psychology Syndrome), certaines formes de la diète carnivore, le régime primal, et bien sûr, dans la philosophie de la Weston A. Price Foundation, qui l’élève au rang d’aliment sacré. Dans ces cercles, le lait cru est vu comme une panacée. Plus riche, plus digeste, rempli d’enzymes et de bonnes bactéries.

Mais ces allégations, aussi séduisantes soient-elles, ne reposent sur aucune preuve scientifique solide. Ce sont des convictions, pas des faits.

Avant Pasteur, le lait rendait (très) malade

Au XIXe siècle, boire du lait pouvait tuer. Littéralement. Le lait cru était un vecteur courant de maladies infectieuses comme la tuberculose, la brucellose, la diphtérie ou la fièvre typhoïde. En 1923, la ville de New York avait même fait une pub de mise en garde :

« Le lait cru tue. Faites-le bouillir, ou renoncez à vos enfants. »

C’est dans ce contexte que Louis Pasteur met au point la pasteurisation. Une technique simple et efficace. Chauffer le lait à 72 °C pendant quelques secondes, puis le refroidir rapidement. Un simple geste qui dure 15 secondes et qui amène une baisse spectaculaire des maladies d’origine laitière. On oublie trop vite que la pasteurisation est l’une des grandes révolutions de santé publique du dernier siècle.

Ce que la pasteurisation fait et ne fait pas

Contrairement à ce qu’on entend souvent, la pasteurisation ne « détruit pas tout ». Elle élimine les bactéries pathogènes, tout en préservant la qualité nutritionnelle du lait. Les protéines, le calcium, la vitamine D (ajoutée après), la riboflavine et la majorité des autres nutriments demeurent stables.

Certes, certaines enzymes sont détruites, mais elles n’ont pas d’effet démontré sur la santé humaine. Quant aux vitamines les plus sensibles à la chaleur, comme la C ou la B12, leurs pertes sont minimes, et le lait n’en est pas la principale source dans notre alimentation. Bref, chauffer un lait quelques secondes ne le rend pas inutile. Il le rend sécuritaire.

Le risque de boire du lait cru est bien réel

Même dans les meilleures conditions, le lait cru peut être contaminé par Listeria, E. coli, Salmonella, Campylobacter, Brucella, Cryptosporidium… Des noms qu’on connaît peu, jusqu’à ce qu’ils chamboulent une santé en apparence parfaite.

Chez certaines personnes, une seule gorgée de lait cru suffit à causer une infection grave: insuffisance rénale, fausse couche, AVC, syndrome de Guillain-Barré. Les plus vulnérables sont les enfants, les femmes enceintes, les personnes âgées et les gens immunodéprimés. Dans leur cas, ce n’est pas un débat idéologique. C’est un risque tangible.

Une fascination bien organisée

Alors pourquoi alors continuer à en faire la promotion?

C’est une excellente question.

Parce que le lait cru fait vendre. Il évoque le terroir, la tradition, la résistance aux normes modernes. Derrière lui, on trouve des groupes de pression puissants, comme la Weston A. Price Foundation, qui s’appuient sur une vision idéalisée mais non fondée de la santé des gens qui vivaient à l’ère préindustrielle.

Ce mouvement gagne aujourd’hui un soutien politique majeur. Robert F. Kennedy Jr., désormais scientifique en chef aux États-Unis, est un fervent adepte du lait cru. Il milite pour la déréglementation de sa vente au nom des libertés individuelles, sans égard aux risques documentés. Ce n’est pas anodin. On doit donc s’attendre à ce que la législation américaine se relâche, et que les CDC recensent moins d’épidémies en lien avec le lait cru… non pas parce qu’elles auront disparu, mais parce qu’elles ne seront plus surveillées de la même manière (ou juste plus du tout surveillée).

Des risques qui surpassent largement les bénéfices

Soyons clair, aucun bénéfice du lait cru n’a été validé par des études cliniques sérieuses. Aucun. En revanche, les risques sont bien établis. Infections graves, hospitalisations, séquelles permanentes. Boire du lait cru, c’est comme traverser la rue les yeux fermés. On peut y survivre… jusqu’au jour où on se fait rentrer dedans,

Et contrairement à ce que certains affirment, ce n’est pas parce qu’il vient d’une ferme propre ou qu’il est « frais du jour » qu’il est (plus) sécuritaire, loin de là. La pasteurisation n’est pas un caprice. C’est une barrière de protection minimale.

C’est de base.

La grippe aviaire s’invite dans la conversation

Et comme si ce n’était pas assez, en 2024, le virus H5N1 (grippe aviaire hautement pathogène) a été détecté dans du lait cru de vache. Des vaches auraient été infectées après contact avec des oiseaux porteurs du virus. Deux cas humains ont été confirmés aux États-Unis.

Le plus inquiétant? Le virus a été détecté directement dans le lait. Pour l’instant, il ne se transmet pas entre humains. Mais pour combien de temps encore si la vigilance se relâche?

Le lait cru n’est pas une opinion, c’est un fait

On peut comprendre les motivations derrière la consommation de lait cru. Elles parlent d’identité, de mémoire, de résistance, de quête d’authenticité. Mais elles ne changent rien à la réalité microbiologique. Ce lait cru qu’on romantise est aussi un liquide potentiellement dangereux, dont les risques dépassent largement les bénéfices.

On ne peut pas réécrire les lois de la biologie au nom de la nostalgie.

Enfant buvant du lait dans une bouteille rétro — illustration utilisée pour illustrer les croyances populaires autour du lait cru, dans un article rédigé par une nutritionniste et docteure en pharmacie.

FAQ – Répondu par une nutritionniste (et pas par l’iA)

Le lait cru est-il dangereux?
Oui, très. Le lait cru peut contenir des bactéries pathogènes comme Listeria, Salmonella, E. coli ou Campylobacter. Même en petite quantité, il peut provoquer une infection grave. Les risques dépassent de loin les bénéfices, qui sont nuls comparativement au lait pasteurisé.

Est-ce que le lait cru est légal au Canada?
Non. La vente de lait cru pour la consommation humaine est interdite au Canada. Seul l’éleveur peut l’utiliser à la ferme, dans des conditions strictement encadrées. Tout ce qui circule “sous le manteau” est illégal et risqué.

Le lait cru est-il meilleur que le lait pasteurisé?
Non. La pasteurisation élimine les bactéries dangereuses tout en conservant l’essentiel des nutriments. Les pertes de vitamines sont minimes et sans impact sur la santé. Aucun avantage du lait cru n’est démontré scientifiquement.

Qui ne devrait jamais consommer de lait cru?
Les jeunes enfants, les femmes enceintes, les personnes âgées et les personnes immunodéprimées. Pour eux, une infection transmise par le lait cru peut avoir des conséquences graves, allant jusqu’à l’hospitalisation ou la mort.

Pourquoi le lait cru est-il encore à la mode?
Il est valorisé dans certaines diètes (paléo, GAPS, ancestrale), souvent perçu comme plus “naturel” ou “vivant”. Mais ces idées reposent davantage sur des croyances ou du marketing que sur des données scientifiques fiables.


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Références scientifiques

Public Health Agency of Canada. Escherichia coli O121 outbreak associated with raw milk Gouda cheese, British Columbia, Canada, 2018. Can Commun Dis Rep. 2020;46(10):348–52.

Centers for Disease Control and Prevention (CDC). Raw Milk: What You Need to Know [Internet]. Atlanta (GA): CDC; 2023 [cited 2025 Jul 17].

Health Canada. Raw (unpasteurized) milk [Internet]. Ottawa (ON): Government of Canada; 2022 [cited 2025 Jul 17]. Available from: https://www.canada.ca/en/health-canada/services/food-nutrition/food-safety/risks/food-poisoning/raw-milk.html

Health Canada. Health Canada’s statement about drinking raw milk [Internet]. Ottawa (ON): Government of Canada; 2022 [cited 2025 Jul 17].

U.S. Food and Drug Administration (FDA). Raw Milk Misconceptions and the Danger of Raw Milk Consumption [Internet]. Silver Spring (MD): FDA; 2022 [cited 2025 Jul 17].

Currier RW, Widness JA. A Brief History of Milk Hygiene and Its Impact on Infant Mortality from 1875 to 1925 and Implications for Today: A Review. J Food Prot. 2018;81(10):1713-1722. doi:10.4315/0362-028X.JFP-18-186

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