À la suite de mon article sur les dangers souvent sous-estimés des vidéos « What I Eat in a Day », il m’a semblé pertinent d’apporter quelques pistes de réflexion pour mieux naviguer face à ce genre de contenu. Bien que ces vidéos, au style visuellement captivant, puissent paraître inspirantes, les études montrent qu’elles peuvent aussi encourager des comportements alimentaires déséquilibrés et avoir un impact négatif sur l’image corporelle.
Voici quelques questions à se poser afin de les aborder de manière plus positive et constructive.
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mots de Annie Ferland, dtp, PhD
Il est essentiel de garder à l’esprit que les vidéos « What I Eat in a Day » ne montrent qu’une seule journée de la vie d’une personne et est souvent soigneusement édité pour projeter une image idéalisée. Ce phénomène est lié à la désirabilité sociale, un biais bien connu des nutritionnistes dans les évaluations alimentaires, où les individus modifient leurs comportements lorsqu’ils savent qu’ils sont observés ou jugés. De la même manière, les créateurs(ices) de contenu sélectionnent les moments où leur alimentation semble la plus « parfaite », créant ainsi une image qui ne reflète pas toujours leur réalité quotidienne.
Les inégalités socio-économiques influencent profondément notre capacité à pouvoir adopter certaines habitudes alimentaires idéalisées, accentuant ainsi le fossé entre ce qui est montré en ligne et la réalité. Si on a les moyens d’acheter régulièrement des aliments plus coûteux, comme des fruits bio, des suppléments nutritionnels ou des “superaliments” tendance, on peut être tentés de reproduire ces choix. Et même en disposant des ressources nécessaires, il faut également considérer le temps disponible que l’on a pour cuisiner. Un manque de temps et d’argent qui ne fait qu’ajouter au défi et à la culpabilité que ces vidéos peuvent parfois engendrer.
Il est essentiel de vérifier si les créateurs(ices) de contenu qui partagent leurs repas sont commandités ou rémunérés pour promouvoir des suppléments alimentaires, des programmes en ligne ou des produits particuliers. Les vidéos « What I Eat in a Day » offrent un support visuel parfait pour mettre en avant des marques de suppléments, de barres protéinées ou d’autres produits, dont la présence est souvent subtile, mais omniprésente. Cette normalisation peut créer une perception biaisée, car les recommandations ne sont pas toujours motivées par l’utilité réelle des produits, mais par des intérêts commerciaux. Il est donc crucial de rester vigilant face à cette dynamique, car elle peut déformer notre perception de ce qui est « idéal » et influencer nos choix de manière peu objective.
Une expérience personnelle peut certes influencer les recommandations d’un créateur(ices) de contenu, mais cela ne constitue pas une expertise professionnelle en nutrition. Il est donc essentiel de s’interroger sur les qualifications légitimes de ces influenceurs pour donner des conseils en alimentation, surtout lorsqu’on est exposé à certaines pratiques comme le contrôle rigide des portions, la surreprésentation des « superaliments » et l’évitement de groupes alimentaires spécifiques De plus, il est important de reconnaître que parfois, certains(es) peuvent souffrir ou être en rémission d’un trouble alimentaire. En l’absence de formation adéquate, leurs conseils peuvent refléter leurs propres luttes personnelles plutôt que des principes nutritionnels provenant de données scientifiques ou simplement du gros bon sens.
Mon dernier conseil, et non des moindres, serait d’éviter de liker ou de commenter ce type de contenu. Même si cela peut sembler être une simple manière d’exprimer un accord ou une appréciation, cela peut également valider et renforcer des messages potentiellement nuisibles que l’on ne cautionne pas forcément. Un simple « like » peut agir comme un outil de validation des choix alimentaires du créateur ou de la créatrice, pouvant avoir des répercussions négatives sur son bien-être physique et mental. Dans un contexte où nous sommes de plus en plus conscients des effets des commentaires sur le poids et l’apparence physique à l’ère des réseaux sociaux, en particulier pour les adolescent.e.s, cette réflexion devient d’autant plus pertinente. Ainsi, avant de cliquer sur le bouton « j’aime », il est important de se demander si le contenu reflète véritablement nos valeurs et nos besoins, et s’il contribue positivement à la lutte contre les stéréotypes corporels et aux discussions autour d’une alimentation saine et équilibrée.
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