Tout savoir sur le point de fumée : guide complet
Sur TikTok, certaines vidéos cumulent des millions de vues en affirmant que les seed oils “sont toxiques” ou qu’elles sont “pire que le sucre”. Sur Instagram, des comptes de recettes et de bien-être affichent fièrement la mention “no seed oils” comme un gage de pureté alimentaire, au même titre que “sans gluten” ou “sans sucre raffiné”. Et sur YouTube, des voix populaires de la sphère wellness expliquent que ces huiles industrielles seraient responsables de l’inflammation chronique, de la fatigue, voire de la dépression.
En quelques années, des huiles parfaitement ordinaires – canola, soya, maïs, tournesol, carthame, pépins de raisin, riz et coton – ont été rebaptisées les “Hateful Eight”, accusées d’empoisonner nos assiettes et nos cellules. Mais cette peur, devenue virale, n’est pas née d’une découverte scientifique. Elle est née dans le fil d’actualité, nourrie par les podcasts, les vidéos de cuisine, les diètes populaires et les algorithmes qui récompensent la peur plus que la nuance.
Derrière cette croisade contre les huiles de graines se cache l’un des plus grands cas récents de désinformation nutritionnelle. Une histoire où la science s’est fait voler la vedette par le sensationnalisme. Et je vais vous raconter cette histoire.
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mots de Annie Ferland, PhD, dtp-nutritionniste
Derrière ce terme à la mode se cache simplement des huiles végétales extraites de graines, comme celles de canola (colza), soya, maïs, tournesol, carthame, riz, coton ou pépins de raisin. Contrairement à l’huile d’olive ou d’avocat, pressée directement à partir du fruit, ces huiles proviennent du gras contenu dans la graine, d’où leur nom. Ces huiles sont riches en acides gras insaturés, notamment en oméga-6 et oméga-3 en diverses proportions, deux gras essentiels que le corps ne peut pas fabriquer. C’est cette richesse en gras polyinsaturés qui les a longtemps rendues populaires, notamment pour la santé du cœur.
Cela dit, on retient que toutes les seed oils sont des huiles végétales, mais toutes les huiles végétales ne sont pas des seed oils.
Et par souci de cohérence, j’utiliserai le terme seed oils dans mon texte — le même qu’on retrouve dans la majorité des contenus viraux et des débats en ligne, même si on parle simplement d’huiles de graines.
Pour comprendre pourquoi on se méfie aujourd’hui des seed oils, il faut remonter très loin dans le temps. Bien avant TikTok !
En 1911, la compagnie Procter & Gamble lance le Crisco, une graisse végétale solide obtenue à partir d’huile de graines de coton partiellement hydrogénée. À l’époque, il ne s’agit pas d’un choix “santé”, mais d’un produit industriel révolutionnaire. Un gras blanc, stable et abordable, présenté comme plus moderne et plus “propre” que le beurre ou le saindoux. Cette innovation marque le début de l’ère des gras industriels, où la technologie alimentaire promet de remplacer la nature pour nourrir le monde.
Quelques décennies plus tard, dans les années 1950, le physiologiste américain Ancel Keys formule l’hypothèse du cholestérol. Trop de graisses saturées ferait grimper le cholestérol sanguin et, par ricochet, le risque de maladies cardiovasculaires. Sous cette influence, les graisses animales sont pointées du doigt, et les graisses végétales, riches en acides gras insaturés (dont plusieurs sont des seed oils), gagnent en popularité. Les autorités de santé publique, comme l’American Heart Association, endossent cette vision dès les années 1960, puis la réaffirment en 1978.
Durant la seconde moitié du siècle, les huiles issues de graines — d’abord soya et maïs, puis tournesol et canola — s’imposent dans les cuisines et l’industrie agroalimentaire. Elles deviennent synonymes de progrès et de santé. Des graisses modernes, économiques et “cardioprotectrices”.
Mais au fil du temps, le récit change.
À partir des années 1990, plusieurs courants alimentaires viennent éroder cette confiance envers les gras végétaux et, plus largement, envers tout ce qui est issu de la transformation alimentaire : le clean eating, qui valorise les aliments “non transformés” ; le mouvement paléo et ancestral, qui prône un retour à l’alimentation d’avant l’industrialisation ; les approches low-carb, Atkins et keto, qui réhabilitent le beurre et les graisses animales.
Mais ces discours se sont aussi imbriqués à d’autres mouvements de société, parfois politisés ou identitaires. Dans certaines sphères plus conservatrices, notamment celles gravitant autour du mouvement “MAHA” aux États-Unis, la diabolisation des seed oils s’est transformée en symbole de résistance quasi “anti-système”. Celle d’un corps “pur”, “fort” et “naturel”, opposé à un monde perçu comme affaibli par la modernité et la science.
Vu sous cet angle, le raisonnement semble simpliste, presque déconnecté de la réalité scientifique. Et pourtant, c’est bien cette histoire-là qui s’est imposée. Celle où les seed oils incarnent tout ce que l’on croit devoir bannir dans notre alimentation moderne.
« Collectivement, on devrait être fâchés. Pas contre les seed oils. Mais contre le temps, l’énergie et la confiance qu’une gang de zigotos nous font perdre avec leurs fausses croyances. »
Ensuite, la peur des seed oils a trouvé une logique dans une hypothèse scientifique bien réelle, formulée il y a plusieurs décennies selon laquelle un excès d’oméga-6 par rapport aux oméga-3 pourrait favoriser l’inflammation chronique. Une idée séduisante, puisqu’on sait que ces deux types de gras participent à la régulation de la réponse inflammatoire du corps. Et comme les seed oils sont riches en oméga-6 et contiennent moins d’oméga-3, on a cru qu’elles pouvaient déséquilibrer la balance naturelle entre ces deux types de gras essentiels.
Pourtant, au fil des années, la science a fait son travail et l’hypothèse a été testée. Aucune preuve solide n’a montré que le ratio oméga-6/oméga-3 posait un réel problème. Au contraire, les données accumulées indiquent plutôt des effets neutres sur l’inflammation, voire bénéfiques sur la santé du cœur et la prévention des maladies chroniques. Même qu’une vaste analyse regroupant 30 cohortes internationales a montré que les personnes ayant les taux sanguins les plus élevés d’oméga-6 avaient un risque plus faible de maladies cardiovasculaires et de mortalité, contredisant ainsi l’idée que ces gras seraient pro-inflammatoires ou dangereux pour la santé.
Mais pendant ce temps, sur les réseaux sociaux, l’hypothèse scientifique de départ n’a pas suivi la même évolution. Elle s’est figée dans le temps et s’est cristalisée en une croyance à l’opposé de la santé.
La peur et la désinformation autour des seed oils sont tout sauf fondées. Des décennies de recherche et une multitude d’études solides et robustes ont montré que remplacer les gras saturés (comme le beurre ou le saindoux) par des gras insaturés, qu’ils proviennent des seed oils, du canola, du soya ou de l’huile d’olive, réduit le risque de maladies cardiovasculaires et de mortalité prématurée. Ce sont simplement des sources ordinaires de gras insaturés, économiques et bénéfiques pour le cœur lorsqu’elles remplacent les graisses animales. Et qu’on ne devrait pas craindre.
Dire que les seed oils peuvent causer des problèmes de santé, c’est comme accuser la feuille de salade du Big Mac alors que c’est tout le trio au complet qui pose problème.
Le débat autour des seed oils n’a rien d’anodin. Il reflète à quel point on tolère encore la désinformation, même quand elle nuit à notre santé. Pourquoi accepte-t-on que des gens propagent des messages faux, qui finissent par nous compliquer la vie et nous stresser à chaque repas?
Pendant qu’on s’inquiète de l’huile qu’on va choisir pour faire notre vinaigrette, on a de la misère à revenir à l’essentiel: la qualité globale de notre alimentation, le plaisir de manger, le gros bon sens.
Cette peur, amplifiée par les algorithmes, nous fait tous perdre un temps précieux. À moi, qui a passé une journée à réviser une science que je connais déjà, juste pour m’assurer que je n’avais rien manqué ; aux chercheurs qui tentent de rectifier les faits, mais qu’on n’écoute plus ; aux professionnels de la santé qui jonglent chaque jour avec la désinformation ; et à nous tous, qui essayons simplement de mieux comprendre ce qu’on mange.
Collectivement, on devrait être fâchés.
Pas contre les seed oils.
Mais contre le temps, l’énergie et la confiance qu’une gang de zigotos nous font perdre avec leurs fausses croyances.
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