Connaissez-vous Popeye? Pas la chaine de magasins de suppléments. Le marin qui devenait 100 fois plus fort qu’Hugo Girard après avoir avalé une boite d’épinards?
Bien des mères ont dit à leurs enfants: « Mange tes épinards si tu veux être fort plus tard! ». Par des mécanismes biochimiques encore ignorés de tous, Popeye devenait super fort après avoir mangé l’extraordinaire contenu en fer des épinards.
L’histoire de Popeye est probablement l’une des premières « fake news » (fausse nouvelle) en nutrition qui a été détournée, exagérée ou dénaturée. Même si à l’époque plusieurs scientifiques ont essayé de rétablir la vérité, peu les ont écoutés.
Voici la chronologie de l’histoire populaire du fer, des épinards et de cette fausse nouvelle vieille de 125 ans.
Un biochimiste allemand nommé E. von Wolf est mandaté pour évaluer la composition nutritionnelle de nombreux aliments, dont les épinards. Il obtient une valeur de 2,7 mg par 100 g, ce qui n’est rien pour tomber en bas de sa chaise.
À la fin de sa journée de travail, il remet ses résultats à sa secrétaire pour retranscription. Toutefois, Dieu seul sait où elle avait la tête à ce moment, mais elle place mal une virgule et transforme le 2,7 mg … en 27 mg. La teneur en fer venait d’être exagérée de 10x en un instant.
Une dizaine d’années plus tard, un chercheur nommé Gustav von Bunge commet une deuxième gaffe en attribuant la valeur nutritionnelle des épinards déshydratés aux épinards frais. Puisque les épinards sont constitués à plus de 90 % d’eau, la forme séchée présente un niveau de fer près de 10 fois supérieur. Il croyait confirmer ce qu’un chercheur avait trouvé avant lui (#not).
Première apparition d’une bande dessinée qui allait devenir très populaire, Popeye, personnage charismatique créé par Elzie Crisler Segar. Ledit personnage devient exceptionnellement fort en consommant à l’excès des épinards, tout simplement parce qu’il s’agit de son plat préféré. On mentionne dans la bande dessinée que Popeye a une « santé de fer ». Fer… épinards… Popeye… Peu importe, Popeye est le Brad Pitt du moment et fait augmenter les ventes d’épinards aux États-Unis de plus de 33 %.
Des chimistes allemands réévaluent la teneur en fer des épinards car ils trouvent cette information un peu louche. Ils mettent à jour cette simple erreur de décimale et tentent en vain de rétablir la vérité. Personne ne veut les entendre. S’il y a bien une chose qui ne change pas avec les années, c’est bien les fausses croyances qui ont la vie très longue.
Erreur mise à jour ou non, on se sert de la « fausse » teneur en fer des épinards comme propagande des « jours sans viande » pendant la Deuxième Guerre mondiale, une période où il était très difficile de s’approvisionner en aliments frais de toute sorte. Le gouvernement fait alors la promotion de la consommation de légumes, plus particulièrement des épinards. Si Popeye s’en nourrit et devient plus fort, c’est que ça doit être vrai, non?
Terence John Hamblin, professeur en hématologie, fait état de cette fausse nouvelle indémodable en publiant une lettre à l’éditeur dans le British Medical Journal. Son billet fait le tour des bulletins de nouvelles à travers le monde. Oui, il y a du fer dans les épinards, mais pas plus que dans les choux de Bruxelles ou le brocoli.
« Frauds, hoaxes, fakes, and widely popularised mistakes run through the warp and woof of the history of science and medicine. »
Le mythe de l’épinard comme un légume à haute teneur en fer reste encore bien vivant, même s’il a été détrôné par bien d’autres fausses nouvelles en nutrition.
On sait très bien qu’il ne faut pas miser sur les épinards pour combler l’ensemble de nos besoins en fer. En effet, 250 ml (1 tasse) d’épinards crus ne contient que 0,9 mg de fer, ce qui est insuffisant pour combler nos besoins quotidiens, qui sont de 18 mg chez la femme et de 8 mg chez l’homme. Toutefois, cet aliment demeure une source exceptionnelle de vitamines et de minéraux, et est délicieux.
Juste pour ça, c’est une excellente raison pour mettre ce légume régulièrement dans nos assiettes.