
On l’ouvre d’un coup sec. La canette siffle, le liquide pétille, et l’étiquette promet un « boost d’énergie » instantané.
Concentration, performance, vitalité.
Et pourtant, ce qu’on avale dans une boisson énergisante, ce n’est pas de l’énergie. Pas au sens biologique du terme, en tout cas. Ce qu’on consomme, c’est une boisson caféinée qui va stimuler notre système nerveux. Et parfois, notre cœur en paie le prix. Et ça mérite qu’on s’y attarde, sans jugement, avec un brin de curiosité.
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Mots de Annie Ferland, dtp-nutritionniste et docteure en pharmacie
Une boisson énergisante, c’est bien plus qu’un simple breuvage au goût sucré. C’est une boisson qui contient un mélange d’ingrédients actifs, dont le principal est presque toujours la caféine, parfois sous différentes formes (guarana, thé vert, yerba maté, caféine anhydre). On y retrouve aussi de la taurine, des vitamines du groupe B, parfois du sucre ou des édulcorants, et divers extraits végétaux aux effets stimulants.
C’est surtout la caféine qui est responsable des effets physiologiques observés, en particulier sur le système cardiovasculaire. Au Canada, les boissons énergisantes sont réglementées comme des aliments. Santé Canada impose un maximum de 180 mg de caféine par portion (habituellement de 250 ml), oblige les fabricants à déclarer toutes les sources de caféine, et déconseille leur consommation chez les enfants, les femmes enceintes et les personnes sensibles à la caféine.
Les boissons énergisantes vantent souvent leur capacité à nous donner de l’énergie. Pourtant, l’énergie, pour le corps, ce sont des glucides, des lipides, parfois des protéines. Ce sont les nutriments que nos cellules brûlent pour fonctionner, bouger, réfléchir, respirer.
La caféine, elle, ne fournit aucune calorie. Aucun substrat énergétique. Ce qu’elle fait, c’est bloquer un messager chimique dans le cerveau qui s’appelle l’adénosine. L’adénosine est un signal de fatigue. Elle dit au corps: « Ralentis, t’as besoin de repos. » Mais sous caféine, ce message est mis sur silence. On se sent plus éveillé… même si on ne l’est pas vraiment.
Lorqu’on boit une canette de boisson énergisante, notre cœur doit s’adapter. Il compense. Mais il réagit aussi, parfois intensément.
La caféine stimule le système nerveux sympathique – celui qui intervient lors d’un stress, de la fuite, de la performance. Résultat? Les études montrent que notre cœur va battre plus vite. En moyenne, notre fréquence cardiaque risque d’augmenter de 10 à 20 battements par minute. Mais ce n’est pas tout. Les études montrent aussi une hausse de la pression artérielle systolique, de 10 à 15 mmHg. Des cas d’arythmies, plus souvent bénignes (palpitations), mais parfois graves (fibrillation auriculaire, tachycardie ventriculaire). Et ça, même chez de jeunes adultes en santé.
Loin de vouloir alarmer, je pense qu’il est utile de mieux comprendre ces effets pour faire des choix en toute connaissance de cause.
Les effets les plus fréquemment rapportés par les études après la consommation de boissons énergisantes sont bénins, mais perceptibles : palpitations, nervosité, tremblements, insomnie, maux de tête, sensation de cœur qui « cogne ». Ce sont des manifestations transitoires, mais qui peuvent devenir inquiétantes si elles se répètent ou s’aggravent.
Même si plusieurs effets à court terme sont bien documentés, il manque encore d’études de qualité pour évaluer rigoureusement les effets à long terme des boissons énergisantes, en particulier lorsqu’elles sont consommées régulièrement, combinées à d’autres facteurs de risque comme le stress ou l’exercice intense, ou prises en combinaison avec d’autres ingrédients stimulants comme l’alcool. Leurs effets potentiels en synergie – caféine, taurine, guarana, ginseng – demeurent mal compris et encore trop peu étudiés.
Bref, la majorité des données actuelles proviennent d’études de cas, d’essais à court terme ou d’observations ponctuelles, ce qui limite la capacité à bien cerner l’ensemble des effets potentiels sur la santé cardiovasculaire. Et puis, il y a les cas plus rares, mais documentés dans des études de cas scientifiques.
Dans la littérature scientifique, on retrouve des études de cas faisant état d’arythmies (41,5 % des cas cardiaques recensés), d’hypertension soudaine, de syndromes coronariens, d’arrêts cardiaques réanimés, et dans certains cas… de décès.
Est-ce que c’est fréquent? Non.
Est-ce que c’est sérieux? Oui.
Est-ce qu’on comprend bien les mécanismes? Pas encore.
Ce qu’on comprend bien, par contre, c’est qu’il vaut mieux rester attentif à nos signaux corporels et en parler si on remarque quelque chose d’inhabituel. Il faut s’écouter, s’informer, et de prendre soin de sa santé.
Non. Contrairement à ce que certaines marques suggèrent, aucune donnée solide ne permet d’affirmer que la taurine protège le cœur des effets de la caféine. Certaines études chez l’animal ont montré des effets modulateurs. D’autres, neutres. Mais dans une boisson énergisante, la taurine est combinée à plusieurs autres stimulants (comme le guarana, riche en caféine) dans un contexte qu’on ne comprend pas encore totalement. On parle ici de synergie stimulante… pas de neutralisation.
Là encore, pas de panique : juste un appel à mieux décoder ce qu’on consomme.
Moins de sucre, c’est bon pour la santé métabolique, oui. Mais le problème des boissons énergisantes, ce n’est pas le sucre. C’est la caféine, souvent en dose élevée, parfois sous plusieurs noms : caféine pure, guaranine, matéine, théine. Même sans sucre, la stimulation cardiovasculaire est bien réelle.
Comme quoi, « sans sucre » ne veut pas dire « sans effet ».
On boit des boissons énergisantes parce qu’on est fatigué. Parce qu’on veut mieux performer. Parce qu’on pense que c’est inoffensif. Parce qu’on ne connaît peut-être pas les autres options.
Et surtout parce que le marketing est efficace.
On parle de « boisson fonctionnelle », d’« énergie naturelle », de « boost instantané ». Mais dans les faits, ce sont des termes marketing, et on mérite mieux qu’un discours flou, surtout quand il s’agit de notre santé.
Boire une boisson énergisante n’est pas un geste anodin. Derrière le réflexe de chercher un coup de fouet se cachent parfois des habitudes ancrées: une fatigue chronique, une pression de performance, une alimentation qu’on n’a pas eu le temps de soigner, ou une simple méconnaissance de ce que contient vraiment ce qu’on consomme.
Faire le point sur notre consommation, c’est aussi réfléchir à ce qui se passe en amont et à ce qu’on pourrait ajuster. Il y a d’autres façons de prendre soin de son énergie. Et parfois, c’est en commençant par là qu’on prend le plus soin de son cœur.
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