5 réflexions positives pour rester critique face aux vidéos « What I Eat in a Day »
Popeye vous a menti.
Enfin… pas lui, personnellement. Mais l’histoire qu’on vous a racontée à travers ses boîtes d’épinards, ça, oui.
Depuis presque un siècle, des générations entières ont entendu : « Mange tes épinards, tu vas devenir fort comme Popeye! »
Mais derrière ce conseil de parent bien intentionné se cache l’une des plus vieilles erreurs de virgule de toute l’histoire de la nutrition. Et elle a eu des conséquences plutôt… musclées.
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Mots de Annie Ferland, PhD, dtp-nutritionniste
1870 – Un biochimiste allemand, E. von Wolf, analyse la composition des aliments. Parmi eux, les épinards. Il note que 100 g en contiennent 2,7 mg de fer. Pas de quoi sonner les cloches du Vatican.
Sauf que voilà: sa secrétaire fait une erreur de retranscription. Une toute petite virgule se déplace… et le fer des épinards passe de 2,7 mg à 27 mg. Dix fois plus!
Et c’est là que l’histoire commence à enfler.
1881 – Gustav von Bunge, un autre scientifique, reprend les données… mais en se basant cette fois sur des épinards déshydratés. Problème! Les légumes perdent plus de 90 % de leur poids en eau lorsqu’ils sont séchés. Résultat? Encore une fois, la teneur en fer semble exploser. Confirmation d’une erreur… par une autre erreur.
1929 – Cette année-là, le monde découvre Popeye. Et ce personnage, imaginé par Elzie Crisler Segar, devient un vrai phénomène. Un seul détail, chaque fois qu’il ouvre une boîte d’épinards, il décuple sa force.
Le lien est fait: Épinards = fer = force.
Même si dans la BD, c’est juste son plat préféré.
Même si les créateurs ne parlent jamais de nutrition.
Même si Popeye n’a probablement jamais lu un tableau de valeur nutritive.
Mais peu importe: les ventes d’épinards bondissent de 33 % aux États-Unis. L’industrie adore. Les enfants, un peu moins.
1930 à 1937 – des chimistes allemands corrigent l’erreur. Le vrai chiffre, c’est bien 2,7 mg. Mais l’imaginaire collectif, lui, est déjà musclé comme Popeye. La rectification tombe à plat.
1939-1945 – En pleine guerre, les États-Unis utilisent même le mythe comme outil de propagande pour les « meatless days ». Les épinards deviennent un symbole de nutrition économique et patriotique. On encourage la population à les consommer pour rester forte, même sans consommer de viande.
1981 – Un hématologue britannique, Terence John Hamblin, publie une lettre dans le British Medical Journal. Il raconte cette erreur de virgule et ce mythe qui ne veut pas mourir. Son message fait le tour du monde.
Dans ses mots : “Frauds, hoaxes, fakes, and widely popularized mistakes run through the warp and woof of the history of science and medicine.”
Traduction libre : des bourdes comme celle-là, l’histoire de la science en est tricotée.
« Frauds, hoaxes, fakes, and widely popularised mistakes run through the warp and woof of the history of science and medicine. »
Allez-vous me croire, ou préférerez-vous continuer à donner des superpouvoirs aux épinards?
Parce qu’en nutrition comme ailleurs, les mythes voyagent plus vite que les corrections. Mais on peut toujours choisir de regarder l’étiquette plutôt que la caricature.
Même si on sait depuis longtemps que les épinards ne sont pas riches en fer, la légende continue de flotter dans les esprits.
En réalité, 250 ml d’épinards crus contiennent environ 0,9 mg de fer. C’est peu, surtout comparé à nos besoins quotidiens :
Et en plus, c’est du fer non héminique, moins bien absorbé par l’organisme que celui des sources animales. C’est parce qu’il est plus sensible à ce qu’on mange en même temps (comme les fibres ou le calcium) qui peuvent freiner son absorption.
Surtout pas.
Les épinards sont bourrés de vitamines, de minéraux, d’antioxydants. Et en les combinant avec une source de vitamine C (comme un filet de jus de citron), on peut même aider un peu l’absorption du fer.
Mais une chose est sûre :
On ne mange plus des épinards pour ressembler à Popeye.
On les mange parce qu’ils sont bons. Et ça, c’est une vraie raison.
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Hamblin TH 1981. Fake! BMJ 283 (19-26):1671
Sutton M 2010. Spinach, Iron and Popeye: Ironic lessons from biochemistry and history on the importance of healthy eating, healthy scepticism and adequate citation. Int J of Criminology [En ligne].
Publication: 11 avril 2014
Révision: 27 janvier 2018
Dernière mise à jour: 15 mai 2025