Des recettes mâles, une salade de fille, le BBQ pour les hommes, le fourneau pour les femmes.
À notre insu, des stéréotypes se sont installés dans nos assiettes. Comment ceux-ci influencent-ils ce que l’on mange?
La fascination entre les associations de genres (i.e. masculines et féminines) et les aliments va bien au-delà de la science. Quand on y pense un peu, la relation métaphorique entre la viande et les hommes semble bien préhistorique: l’homme des cavernes, qui chassait le mammouth avec les copains, devait être fort et puissant pour rapporter le gibier et nourrir la tribu. Encore aujourd’hui, c’est 92% des hommes qui auront le contrôle de la viande sur la braise du BBQ, laissant aux femmes l’achat des denrées alimentaires et la planification entourant le repas. Une manière de se réconcilier avec notre nature profonde (not)?
Des études empiriques ont également identifié plusieurs stéréotypes qui viennent diriger nos choix alimentaires. Les individus qui se décrivent comme consommant des aliments classifiés dans la catégorie « féminin » (ex.: un bagel avec du fromage à la crème) sont considérés comme plus féminins et moins masculins que ceux qui se décrivent comme consommant des aliments masculins (ex.: crêpes dans le sirop). Ces mêmes études soulignent aussi que les hommes seraient plus réticents à goûter des produits végétariens que les femmes à cause de la connotation « féminine » associée au végé. L’homme végétarien, lui, serait perçu par les autres comme moins viril que son homologue omnivore. Pourtant, que la femme soit végétarienne ou non n’affecte pas notre perception d’elle.
Un steak de gars avec ça?
Si la viande, l’alcool fort, les épices et la bière se « conjuguent » au masculin, les légumes, le poisson, le tofu, le vin et les cocktails semblent davantage plaire à la gent féminine. Ils ont même la réputation d’être sexy et sophistiqués auprès des hommes. Ces aliments sont-ils plus « féminins » pour autant?
Homme ou femme, indéniablement, nos préférences dans l’assiette ne sont pas toujours les mêmes.
« Entre le tofu et le hamburger, le « sexisme alimentaire » s’insinue jusque dans la grosseur de nos portions, la perception d’autrui et l’esthétisme des présentations. »
La femme serait plus souvent associée aux aliments dits « santé », à « l’appétit d’oiseau » et aux présentations élégantes dans l’assiette. La science souligne également qu’une femme qui a tendance à manger des aliments classifiés « féminin » serait davantage perçue par l’homme comme étant délicate et féminine que celles qui mangent de la bouffe de mecs. Qu’on se le tienne pour dit lors d’une première «date».
À ce propos mesdames, une simple petite recherche sur Internet abondera d’avertissements peu subtils vous suggérant d’éviter les côtes levées dégoulinantes et le «maxiburger huit étages» lors d’un premier rendez-vous. Les études ont d’ailleurs démontré qu’une femme qui mange en compagnie d’un homme pour qui elle a de l’attirance consommera moins de calories. Plus il y a un nombre élevé d’hommes autour d’elle, moins elle mangera. Au contraire, si elle veut avoir l’air d’être une des leurs, elle consommera inconsciemment plus de calories. Et si elle dine avec une copine, elle oubliera complètement de compter les calories!
Et l’homme dans tout ça? Sachez que peu importe le nombre de belles femmes autour de lui ou son attirance envers elle(s), cela n’aura aucun impact sur le nombre calories ingérées.
Ainsi, tous ces stéréotypes mènent ultimement à des restrictions alimentaires, à de la culpabilité ou à une mauvaise perception de l’alimentation dans un désir de répondre à ce qui est défini comme « socialement acceptable ». Certains chercheurs vont plus loin et prétendent qu’on choisit inconsciemment ce qu’on mange non seulement pour les propriétés nutritives et sensorielles, mais aussi pour renforcer notre image aux yeux des autres. On se servirait même du contenu de notre assiette pour envoyer des messages favorables à propos de nous-mêmes, de notre image corporelle, nos buts ou de nos motivations.
Être conscient de ces stéréotypes, c’est un premier pas pour reprendre le contrôle de nos choix alimentaires. Je souhaite également que cette petite réflexion nous incite à définir ce qu’est pour nous le plaisir alimentaire afin de le remettre bien au centre de nos assiettes.
Je remercie Isabelle Côté, stagiaire en nutrition (Université Laval) & Karine Gravel, nutritionniste et docteure en nutrition pour leur contribution à la rédaction de ce billet (karinegravel.com)
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